Histoire de la protection et de la gestion d’un espace naturel préservé : le marais de Montfort à Crolles (38)

Histoire de la protection et de la gestion d’un espace naturel préservé : le marais de Montfort à Crolles (38)

Portrait de Roger Marciau

Retour sur la conférence intitulée « Flore des marais et histoire de 30 ans de gestion » donnée par Roger Marciau (botaniste) au Muséum d’histoire naturelle de Grenoble le 6 décembre dernier.

Le dernier bas marais du Grésivaudan

Le marais de Montfort est le seul marais tourbeux relictuel (bas marais calcaire) dans un état de conservation convenable de tout le Grésivaudan. Il abrite :

  • deux papillons protégés en fort danger de disparition (le Fadet des laiches et l'Azuré de la sanguisorbe),
  • six plantes protégées en liste rouge dont la Renoncule grande douve et l'orchis des marais désignées comme prioritaires par la région AURA en 2016,
  • une libellule protégée inscrite à la directive habitat, l'Agrion de mercure, …

Photos Fadet des laîches, Monsibell (à gauche) et Azuré de la sanguisorbe,M kutera, CC-BY-SA sur wikipedia

Ce caractère de réservoir de biodiversité est renforcé par la situation stratégique du marais au sein d'un corridor écologique promu par le Département dans son programme « Couloir de vie » achevé en 2015. Cette fonction de continuité écologique est particulièrement forte pour l'avifaune, les mammifères dont les chiroptères et les amphibiens (Plan de gestion du marais de Montfort, 2013, Conseil départemental de l’Isère).

Une histoire ancienne mouvementée

Le caractère humide du marais de Montfort provient de sa situation sur la base du cône de déjection du torrent de Montfort et de sur la marge de l’ancien champ d’inondation de l’Isère avant la création des digues (carte de Cassini ci dessous).

Les travaux d’endiguement de l’Isère au XIXème siècle, accompagnés de creusement de canaux de drainage collectés par des chantournes, ont fixé le paysage du marais en l'isolant des débordements de l’Isère et un peu moins de ceux du torrent de Montfort. Cette mise en valeur agricole s’est accompagnée de mise en culture avec une dominance de la culture du chanvre dans la plaine alluviale avec sans doute un maintien de prairies pâturées dans les endroits les plus humides, qui devait constituer un paradis pour les papillons comme l'Azuré de la sanguisorbe et le Fadet des laîches.

La saignée de 1914-18 a contribué à l’abandon progressif de l’entretien des fossés et il faut attendre le plan Marshall dans les années 1950 pour que le drainage soit à nouveau opérationnel. Enfin, un remembrement agricole dans les années 1980 a failli faire disparaître définitivement le marais sous des cultures intensives de céréales.

Les 1980’s, années de tous les dangers pour le marais

Alors qu'en 1986, le ministre délégué à l'environnement déclare que le remembrement et l'asséchement des zones humides n'est plus à l'ordre du jour, on a vu que celui-ci battait son plein sur les marais de la commune de Crolles.

De plus, à la demande de ses pécheurs, la commune décide de creuser un étang de pêche et d'aménager une zone de loisir pour l’atterrissage des deltaplanes en pleine expansion à l'époque déjà, sur le cœur du marais. Enfin, pour désengorger le cœur de Crolles de ses embouteillages chroniques, une déviation est programmée dans le milieu du marais.

Sauvé de justesse grâce à une ZNIEFF et aux APN

Le projet d'aménagement de la commune présenté à l’enquête d'utilité public a été refusé par les services de l'état car incompatible avec le classement du marais en  Zone Naturelle d'Intérêt Écologique et Floristique et Faunistique (ZNIEFF). Ce classement national avait été rendu possible par les données naturalistes collectées depuis quelques années par des associations de protection de la nature (APN) : la Frapna Isère (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature) et le Cora Isère (Centre ornithologique Rhône-Alpes, l’actuelle LPO).

Le maire d'alors a eu l'idée de demander la médiation d'une toute jeune association, AVENIR (Agence pour la Valorisation des Espaces Naturels Isérois Remarquables, l’actuel CEN Isère) pour proposer un projet alternatif préservant le cœur du marais où étaient signalés les papillons et les plantes remarquables et rendant possible le creusement de l'étang sur un emplacement moins impactant pour le patrimoine naturel.

Un étang en espace de pleine nature, un APPB puis un ENS !

Ce projet positionnait l'étang de pêche au sud du marais sur une ancienne décharge, désormais appelée zone de pleine nature, exclue de l'APPB (Arrêté préfectoral de protection de biotope) et de l'ENS (Espace naturel sensible).

Pour pérenniser la protection du marais, le Département de l'Isère a voté en 1989 une zone de préemption sur 23 ha pour acquérir le foncier. En 1991, le Préfet de l'Isère instituait un APPB sur la même zone. Par convention, la commune de Crolles a chargé AVENIR de la gestion des parcelles de marais maîtrisées en 1994.

Enfin, le Département de l'Isère a décidé la labellisation du marais en ENS départemental en 1999 sur une zone d'intervention de 43 ha et une zone d'observation de 90 ha. A ce jour environ 25 % du marais de Montfort est maîtrisé par la collectivité soit par acquisition foncière soit par convention de gestion avec la commune.

L'ouverture au public : le sentier des papillons.

Inauguré le 22 mai 2003, le sentier du papillon constitue un cheminement de 1950 m dont le caillebotis de 450 m est un élément fort. Il s’agit d’un chemin aménagé pour piétons et personnes à mobilité réduite sur platelage en bois fixé sur des traverses de chemin de fer posées au sol. Le caillebotis qui constitue le début du sentier du papillon favorise le passage par-dessus les terrains humides et instables tout en permettant l’écoulement de l’eau dans le marais. Ce dispositif a été complété récemment par un pont en bois sur le canal de Montfort.

Les cinq panneaux informatifs sont disposés soit le long du caillebotis, soit au niveau du belvédère au nord. Ils décrivent le cycle de vie de l'Azuré de la sanguisorbe, d'où le nom du sentier.  Ce parti pris, à priori artificiel, a été choisi car le marais de Montfort ne présente pas une flore et une faune très visible et ce pendant un laps de temps assez bref dans l'année.

Diagnostic de l'état du marais de Montfort en 2020

La mise en œuvre des plans de gestion successifs a permis une amélioration de l'état de conservation hydrologique sur le quart nord du marais en ENS grâce à des travaux de bouchage de drain et de création de mares et grâce à une convention avec le syndicat des digues.

Des partenariats ont aussi été noués avec les agriculteurs locaux pour faucher des prairies humides. L'ouverture au public sur le sentier du papillon est un succès mais elle est également cause d'inquiétude en raison d’une très forte fréquentation sur un espace somme toute restreint.

Malgré ces avancées réelles mais limitées dans l'espace, les associations  (GRENE, FNE 38, LPO38, Gentiana) ont décidé d'alerter l’État, les collectivités responsables et les usagers du marais de l'évolution inquiétante de l'état de conservation du marais de Montfort et du corridor écologique s'étendant jusqu'à Lumbin dans un courrier transmis en avril 2019 :

  1. L'échelle d'intervention et les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur des enjeux : En trente années de mesures de conservation des pouvoirs publics, seuls 20 ha sont maîtrisés par la collectivité et font l'objet de gestion soit 20 % de l'APPB et 10 % du corridor écologique Montfort-Crolles-Lumbin. Dans le contexte d’enclavement urbain au nord et d’agriculture intensive au sud, la conservation des enjeux du marais demande des surfaces plus importantes et en connexion avec les autres zones humides « réservoir de biodiversité ».
  2. La situation hydrologique est mauvaise : Une  étude hydrogéologique commandée par le Conseil départemental a montré que le bouchage de drains et les apports du ruisseau de Montfort ont amélioré localement l'état des 20 ha de marais gérés mais que tout le reste de l'APPB et du corridor sont soumis à un drainage équivalent à la situation du remembrement de 1989.
  3. Une pollution aux pesticides incompatible avec la conservation à long terme des papillons protégés.
  4. Une pression de fréquentation en augmentation sur le sentier des papillons. L'ouverture au public d'un ENS n'est possible que si la fréquentation induite ne porte pas atteinte au patrimoine naturel qu'il abrite. A ce jour aucun indicateur ne nous permet d'évaluer cet impact.

En guise de conclusion

Les espaces naturels gérés pour la préservation de leur patrimoine naturel ont le plus souvent une histoire complexe que le gestionnaire doit connaître pour pouvoir exercer son action. En tout état de cause, il ne faut pas croire que l'action des associations de protection de la nature doit cesser après une protection (ici APPB) ou une mise en gestion (ENS départemental). Elles doivent poursuivre inlassablement leur travail de pédagogie, de suivi scientifique et de rappel à la loi et au bien commun.

 

Photos : ©Bertrand Bodin/Département de l'Isère